L'altitude et l'attitude
« Success is not final. Failure is not fatal. It is the courage to continue that counts. »
Winston Churchill
Les 28 et 29 juillet derniers avait lieu High Lonesome 100,
une redoutable course de 100 miles (160 km) au cœur de la chaîne de montagnes
Sawatch au Colorado. À court d’oxygène et de ressources, mon parcours s’y est
arrêté prématurément au 61e kilomètre…
Faire confiance :
Prendre part à une course qui en est à sa première édition
signifie faire confiance aux organisateurs. Dans un tel cas, on ne peut que se
fier qu’aux informations véhiculées sur les internet et qu’aux infolettres et
espérer que tout se déroule pour le mieux. En faisant preuve de tout de même.
L’engagement de l’organisation était claire. Viser
l’excellence et offrir aux coureurs une expérience de course sécuritaire et
optimale.
Et bien High Lonesome 100 n’a pas déçu. Une organisation
impeccable qui n’a rien à envier aux courses bien établies. Caleb Efta
(directeur de course et coureur d’ultra) et son équipe ont livré la
marchandise. Un parcours bien balisé, une gestion des coureurs sécuritaire
(avec équipement obligatoire et plusieurs précieux conseils au niveau des choix
vestimentaires), des ravitos bien garnis, des bénévoles dynamiques et
attentionnés et un peu de boisson à l’arrivée. Bref, une recette gagnante pour
une expérience hors-norme.
Au Colorado, la
montagne est reine… :
Au Colorado, la montagne est reine. Les conditions
météorologiques peuvent se dégrader en l’espace de quelques minutes (pluie
abondante, grêle, éclairs, vent) et le coureur est une espèce insignifiante au
cœur de ces contrées sauvages et hostiles. Le respect s’impose.
À plus de 3500 mètres au-dessus du niveau de la mer, en plus
d’être à la merci de Dame Nature, le coureur doit composer avec une denrée
rare : l’oxygène. Ce qui peut sembler un banal effort au niveau de la mer
peut nous prendre tout notre petit change à cette hauteur.
Le Far West :
En prenant la route entre Denver et Salida au volant de ma
voiture de location, un magnifique panorama s’offrait à moi. Des vastes plaines
verdoyantes sur lesquels des ranchs abritent de magnifiques chevaux qui
galopent et au loin, d’immenses montagnes aux sommets enneigés. Inutile de vous
dire que les 3 heures de route séparant ces deux villes ont passé rapidement,
mes yeux étant grandement sollicités par ces paysages dignes de carte postale.
La course :
Départ à Raspberry
Gulch (0 – 11.9 km) :
C’est à 6 heures du matin, sous un magnifique lever de soleil
orangé que le départ fut donné. 73 coureurs à l’assaut de ce parcours
redoutable. Nous débutons sur une route asphaltée qui descend légèrement et qui
mène à un chemin de terre. J’amorce la course avec un rythme très conservateur
et j’ai la sensation que mes jambes sont molles comme du Jell-O. Bienvenue en
altitude!
En alternant marche et course sur le chemin de terre, après
environ 4 kilomètres, je fini par arriver à un sentier de type « single track »
en montée avec plusieurs switchbacks. Tiens, un photographe! On sourit!
Je sors mes bâtons de marche afin de m’aider à prendre mes
appuis. Une très belle vue s’offre sur la vallée derrière nous et j’en profite
pour sortir mon téléphone et prendre une photo. Cette brève pause me donne
également l’occasion de laisser passer quelques coureurs plus rapides.
S’en suit une bonne descente dans laquelle je m’assure de ne
pas aller trop vite. Quel beau sentier avec un faible niveau technique
(quelques roches à l’occasion). Qu’il fait bon y courir! Après un peu plus de
90 minutes de course, je fini par rallier la première station de
ravitaillement : Raspberry Gulch. C’est sous de chaleureux
applaudissements que j’y suis accueilli. Je rempli mes deux bouteilles molles
(500 ml.) ainsi qu’une troisième bouteille molle (500 ml.) puisque la section
suivante fait 15 kilomètres et est principalement en montée. Je profite
également de bref arrêt pour manger un tortilla au nutella. Je remercie les
bénévoles (j’en fais d’ailleurs un devoir à chaque station) et je poursuis ma route.
Raspberry Gulch à Mont
Antero (11.9 km à 26.9 km) :
Cette section marque la plus longue ascension de tout le
parcours. Une montée qui semble sans fin nous menant tout près du sommet du
Mont Antero, à une altitude de 3800 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le
premier véritable obstacle du parcours. L’ascension débute graduellement et
c’est avec patience, un pas à la fois que j’aborde ce défi. L’odeur de pin est
agréable et à un certain point, je trouve que l’odeur des conifères et des
différentes plantes de la forêt s’apparente grandement à l’odeur des pastilles
Fisherman’s friend. Quelques coureurs se situent devant moi et je conserve la
même distance derrière eux avec un rythme de marche régulier et conservateur. Le
sentier longe un ruisseau qui au son, coule à fort débit, vestige de la fonte
des neiges. Après environ 2 heures de montée, je franchi la ligne des arbres.
La montée devient alors plus abrupte et je suis en mesure de voir ce qui
m’attend à plusieurs centaines de mètres devant moi. Le paysage est fabuleux (avant
et derrière moi) et je l’immortalise à l’aide de mon téléphone cellulaire. Cette
pause est encore une fois la bienvenue puisqu’il n’y a pas que les paysages qui
coupent le souffle…
Une fois arrivé en haut, le sentier de type singletrack fait
place à une route de Jeep. Nous sommes à découvert et fort heureusement, la
météo est clémente. La vue qui s’offre à moi sur les autres montagnes est tout
simplement spectaculaire. Je sors à nouveau mon téléphone le temps de quelques
photos.
Tout ce qui monte doit redescendre. J’entame donc la descente
en zigzag sur la route de Jeep menant à la station de ravitaillement du Mont
Antero qui se situe tout juste à la ligne des arbres. J’alterne course et
marche même en descente puisque j’ai laissé quelques cartouches dans la montée…
Un peu passé 11 heures (5 heures de course et des
poussières), j’arrive au ravito. Un melon d’eau et un verre de Ginger Ale me
font le plus grand bien (au corps et à l’esprit). Je rempli à nouveau mes
bouteilles en pensant que c’était de l’eau mais il s’agissait de la boisson
d’électrolytes Skratch. Ce n’est pas plus grave que ça. Je remercie les
bénévoles et continue ma progression.
Mont Antero à St-Elmo (26.9km
à 40.9km) :
Cette section de 14 km débute avec une longue descente,
toujours sur une route de Jeep. Sans courir trop rapidement, cette descente plutôt
rocailleuse et technique va très bien et je me sens revivre. Il faut aussi dire
que nous descendons en altitude et que l’oxygène se fait un peu moins rare. Je
joue au chat et à la souris avec certains véhicules utilitaires sport qui
descendent la route en tentant d’éviter les grosses roches. Près de la fin de
la descente, une fine pluie se met de la partie et quelques coups de tonnerre
se font entendre. Le bruit du tonnerre semble parvenir de l’autre côté de la
montagne, heureusement.
La descente débouche sur une route de terre qui mène au
village fantôme de St Elmo, une attraction touristique fort prisée dans la
région. La route de terre est constituée de plusieurs faux plats et m’oblige
plus souvent qu’autrement à y évoluer en marche rapide. La pluie commence à
s’accentuer et je sors mon petit coupe-vent de mon sac d’hydratation. Il me
permettra de me réchauffer mais sera trempé rapidement. J’ai un drop bag qui
m’attend au ravitaillement de St-Elmo avec un chandail sec et un imperméable.
Un coureur du nom de Scott me rejoint et nous faisons un
petit bout ensemble en discutant de tout et de rien mais surtout d’ultras. Il
possède un bon rythme de marche rapide, ce qui me pousse à le suivre. Peu avant
de rejoindre le village de St-Elmo, il y a quelques descentes. Je me permets de
les courir. Le village de St-Elmo (aucune photo à l’appui en raison de la forte
pluie) a un charme particulier. Quelques bâtiments rustiques de bois sont
situés de part et d’autre de la route, vestiges d’une autre époque.
Le ravito de St-Elmo se trouve un peu passé le village, après
une petite montée. J’y arrive vers 13 h 10. Je profite de cet arrêt aux puits
pour troquer mon t-shirt mouillé pour une camisole sèche et mon coupe-vent
trempé pour un imperméable. J’avale également un tortilla aux avocats arrosé
d’un verre de coke.
St-Elmo à Cottonwood
(40.9km à 50.5km) :
Cette section est en fait un aller-retour : 10 km pour
se rendre au ravito de Cottonwood et 10 pour en revenir. Chaque 10 km est
composé d’une montée de 5 km et d’une descente de 5 km. La montée débute
graduellement et après une dizaine de minutes, je me réchauffe et fini par
enlever mon imperméable afin de le mettre dans mon sac d’hydratation. Plus la
montée progresse, plus j’ai du mal à prendre mon souffle. Chaque pas vers
l’avant est exigeant et m’oblige à prendre plusieurs pauses en m’accotant sur
mes pôles. La dernière section pour se rendre au sommet de la passe alpine est
particulièrement éprouvant et je progresse à pas de tortue. La magnifique vue
au sommet est l’ultime récompense pour cet effort surhumain.
S’en suit une longue descente dans laquelle j’ai beaucoup de
difficulté à prendre un rythme de course. Je suis extenué de l’effort déployé
en montée. Je croise plusieurs coureurs qui sont sur leur retour et ils me
mentionnent que le retour n’est pas mieux. De manière générale, le moral des
troupes n’est pas à son meilleur. Le mien non plus d’ailleurs. J’arrive tant
bien que mal à rallier la station de ravitaillement de Cottonwood après environ
3 heures d’effort pour parcourir la maigre distance de 10 km. Je suis torché.
Le bénévole de l’équipe médicale m’observe et voit que je ne
suis pas à mon meilleur. Il me suggère de m’asseoir et de boire et manger. Je
prends un quesadilla au fromage et un verre de Mountain Dew. Je passe une
dizaine de minutes à ce ravito et je fini par repartir. L’altitude fait des
ravages. Je n’ai pas de mal de cœur mais j’ai énormément de difficulté à
trouver un rythme et à prendre mon souffle. Mes pulsations cardiaques sont
élevées, même dans de légers faux plats ascendants. Malheureusement, c’était le
début de la fin. Je remercie les bénévoles et quitte pour le retour vers
St-Elmo.
Cottonwood à St-Elmo
(50.5km à 61 km) :
À peine quelques centaines de mètres après le ravitaillement,
j’ai les émotions à fleur de peau. J’ai fait plusieurs défis costauds dans ma
jeune carrière de coureur d’ultra mais c’était la première fois que le niveau
de difficulté d’une course m’a fait couler quelques larmes. Je me suis
littéralement assis sur une roche, la tête entre les genoux et j’ai pleuré… Je
songe même à revenir sur mes pas au ravito de Cottonwood et à abandonner… Je
pense beaucoup à ma conjointe Véronick et à ses enfants Joanie et Guillaume.
Je croise quelques coureurs qui descendent vers Cottonwood.
Après quelques arrêts pour reprendre mon souffle, je fini par atteindre tant
bien que mal le sommet de la passe alpine pour la seconde fois. Je tente à
nouveau d’adopter un rythme de course décent dans la descente vers St-Elmo mais
il n’en est rien. J’alterne donc marche et course et cette section me parait interminable.
Je peine à mettre un pied devant l’autre et je progresse très lentement.
À 18 h 40, je rejoins St-Elmo pour la seconde fois, dans un
état lamentable. La section d’aller-retour de 20 kilomètres m’a pris 6 heures
et demie.
À court d’oxygène, d’énergie et de ressources, cet arrêt au
ravito marque la fin de cette course pour moi.
Les bénévoles de cette station ont été extraordinaires et
j’ai eu la chance d’avoir un lift jusqu’à mon auto (située au départ) grâce à
une supporter sympathique du nom d’Amanda. Un grand merci!
Un motel miteux… :
Je n’avais pas réservé de chambre d’hôtel la nuit de la
course pour la simple et bonne raison que j’étais supposé courir et que je ne
voulais pas payer inutilement une chambre que je n’utilise pas. Il se trouve
qu’à part la course de High Lonesome, il y avait un autre événement d’envergure
dans la ville de Salida. Une course de vélo de montagne.
Résultat : toutes les chambres d’hôtels de la ville
(ainsi que des villes avoisinantes) étaient réservées… Après avoir passé les
hôtels et motels de la ville entière au peigne fin, j’ai finalement pu trouver
une chambre d’hôtel fumeur (qui heureusement ne sentait pas la cigarette) d’un
motel miteux et à un prix exorbitant.
C’était ça ou dormir dans la petite Toyota Echo sans avoir
pris de douche après plus de 12 heures d’effort.
Leçon : toujours vérifier la disponibilité des chambres
d’hôtels pour la nuit de la course et dans le doute réserver la chambre quand
même.
Œuvre inachevée :
Évidemment, un certain sentiment d’échec m’envahit. Mêlé à
une détermination et une volonté à vouloir compléter ce que je n’ai pu
complété, cela fait en sorte que je désire fortement y retourner. En anglais,
on utilise l’expression « unfinished
business » (œuvre inachevé).
High Lonesome 100, nous nous reverrons. Que ce soit l’an
prochain ou dans plusieurs années, il y aura un second épisode. Je n’ai pas dit
mon dernier mot…
Il y a l’altitude et l’attitude. L’attitude avec laquelle
j’aborde mon abandon. Je pourrais m’apitoyer sur mon sort mais ce n’est pas de
cette manière que j’ai le goût de vivre cet échec. Puisque oui, il s’agit bien
d’un échec. Malgré les 61 kilomètres franchis, la tâche à réaliser est de 160
kilomètres et prendre le départ d’une course de 100 miles n’est jamais garant
d’une réussite. Je respecte cette distance au plus haut point et je continue de
progresser et d’apprendre dans ce merveilleux sport qu’est l’ultra-trail.
Le lendemain de mon abandon, j’ai pris la décision d’aller
passer la journée au site de la course afin de féliciter tous les coureurs qui
complétaient cet imposant défi. J’y ai rencontré des personnes fabuleuses
(coureurs, supporteurs, bénévoles, etc.) et j’y ai fait le plein d’inspiration.
La ligne d’arrivée d’une course de 100 miles est un lieu chargé d’émotions et
j’étais content de voir les autres compléter l’épreuve avec succès.
Agrémenté de quelques bières, d’un bon burger et de quelques
punchs alpins au whisky, ce n’était pas si mal après tout.
Et si … ?
Avec un abandon vient l’éternelle questionnement : et si
… ? Qu’est-ce qui se serait produit si j’avais poursuivi? Je ne le saurai
jamais. On peut revirer la situation de toutes les manières possibles et faire
des scénarios et des hypothèses mais ça ne sert à rien.
Il faut accepter l’abandon, tirer des conclusions et aller de
l’avant. Dans ce cas-ci, je crois que d’arriver un peu plus tôt pour une
meilleure acclimatation (malgré le coût du voyage) serait une meilleure option.
Comme on dit, on s’essuie et on recommence!
Une bouteille de whisky en guise de
consolation
Dans les courses d’ultra, il est monnaie courante de
retrouver une paire de bas, un chandail ou une casquette dans le sac du
coureur. Communément appelés « swag », ces items à l’effigie de l’organisation
représentent des souvenirs que peuvent arborer fièrement les coureurs.
High Lonesome 100 fait les choses différemment et fait les
choses en grand! Grâce à un partenariat avec Laws Whiskey House, chaque coureur repart avec une bouteille de
whisky et ce, peu importe l’issu de la course. Pour certains comme moi, le goût
sublime du whisky se substituant à la saveur amère de l’abandon représente une
mince consolation. Pour d’autres, ce savoureux spiritueux goûtera la réussite,
la victoire.
Prochain défi :
Il n’y a pas qu’à High Lonesome que j’ai une œuvre inachevé,
au Bromont Ultra également. En 2015, prenant part au 80 km, je me suis foulé la
cheville à 4 kilomètres du départ, ce qui m’a forcé à déclarer forfait. En
2016, une vive douleur au genou m’a forcé à prendre la voie de garage à la mi-parcours sur le 160 km.
Dans environ trois mois, je serai de retour sur ce magnifique parcours (sur le
160 km) pour boucler la boucle, pour conclure la trilogie.
Vais-je souffrir en janvier?
HURT en anglais est le verbe pour souffrir
(douleur). C’est également une course de 100 miles se déroulant à Hawaii, plus
précisément sur l’ile d’Ohanu dans les montagnes derrière la ville d’Honolulu. Le
parcours dont le dénivelé positif total est de 7500m. est composé de 5 boucles
de 32 km dans un climat chaud et humide avec des sentiers techniques composés
de racines. Pour s’inscrire à cette course, les coureurs doivent passer par un
processus de loterie. Cette loterie aura lieu le samedi 12 août et 125 coureurs
seront pigés. Mon nom est dans le chapeau. On verra bien...
Vincent, I don't think you had any other choice. You train at sea level and this race was High Country. I trust that next time you'll give yourself that week to acclimate and next time the whiskey will taste sweeter! Beautiful pictures and I'm sure hanging out at the Finish Line was inspiring. As always, beautifully written. Thanks for taking the time to write this!
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